CARIBOO!?
Cancoillotte et Belfort-Blues...
Trois heures de route, sous le soleil. Un peu de Liquid Tension Experiment, de Machine Head, d'Incubus.
Arrivée, accueilli par deux compères. Une plâtrée de nouilles plus tard, nous sommes sur les pistes. Mon Gab reste très patient quand il faut m'apprendre les rudiments du surf. Deux heures de gamelles, deux vols-planés et un coup du lapin plus tard, j'ai l'équilibre précaire et les yeux plus vraiment en face des trous. Morfler, j'aime ça et j'en redemande.
Nos deux autres compères nous rejoignent. Raclette foisonnante. Rires et dodo.
Samedi, huit heures : debout les p'tits loups. Echange du surf contre une paire de skis beaucoup plus maniables. A nous les pistes rouges. Le chocolat chaud dans l'inévitable bar montagnard. La vue sur les Alpes.
Un restau. Fondues et discussions croisées. Conseils avisés. Jeu de plateau meurtrier.
Dimanche, huit heures trente : debout les p'tits loups (vous remarquez qu'il y a du relâchement). Préparation du pique-nique, en route pour les pistes de ski de fond. Avec tout ça, j'avais presque oublié que mes genoux sont aussi réussis que le nez de Michaël Jackson : un désastre.
Re-chocolat chaud. Rentrer sous un déluge de flocons. Bagages. Dernières joutes.
Des "au revoir" toujours aussi difficiles. Trois heures de route. Du Adagio, du Queensryche, du Tool, encore du Incubus. Un arrêt sur aire d'autoroute, pour ingurgiter une forte dose de caféine et ne pas s'ebdormir au volant. Arriver à Flanville, sentiment confus de chez moi et de lieu hostile.
Un week-end comme cette nouvelle chanson au programme de la radio. Simple, belle, apaisante. Le truc qui fait du bien. Des courbatures partout, la découverte de muscles dont vous ne soupçonniez pas l'existence. Mais tellement de bien emmagasiné.
Pour le reste de mes pensées volatiles ou profondes, vague à l'âme, questions, craintes et espoirs, auto-censure totale.
Petits morceaux de vérité.
Jeudi, vingt-deux heures trente. Ca fait deux heures qu'on joue. Nous sommes tous un peu nazes, qui après une grosse journée de boulot, qui après avoir passé deux jours harrassants avec sa nouvelle promise.
Mais néanmoins tous motivés. Bien travaillé sur "The Package" (ci à gauche), sur un nouveau titre en chantier. Motivés parce qu'on va quand même chercher l'énergie qui nous reste pour fignoler "Broken Arm" et "The Tube". Parce que ça sonne. Parce que le plaisir ne demande aucun effort.
Jeudi, vingt-trois heures quinze. En quête d'un restaurateur flanvillois bienveillant, notre choix se porte sur le Döner Kebab du centre commercial, puisque c'est la seule alternative au Mc Do. Une bande de jeunes attablés. Une viille télé diffuse en fond un mélange d'images aux couleurs verdâtres. Monsieur Kebab zappe, tombe sur Trafic Music. Brian Molko, "The Bitter End". Ca ne lui plait pas. Il préfèrera le téléfilm de deuxième partie de soirée sur M6. Chacun ses goûts.
Notre batteur nous parle de sa douce, de son avenir. Va-t-elle accepter son engagement total dans la musique? "Quand tu aimes quelqu'un, tu l'acceptes, avec ce qu'il peut t'apporter, les passions qui le font vivre, ce qui le fait avancer. Quand tu aimes quelqu'un, tu l'encourages de toutes tes forces vers ce qu'il promet de devenir, vers ce qu'il veut vivre. Même si ça l'amène à te laisser en chemin. C'est le plus beau cadeau que tu puisses lui faire." Lui dis-je.
Et oui. Pas de regrets.
Allez, au lit, les pistes jurassiennes n'auront aucune pitié de ma condition physique défaillante...
Edit : Keziah Jones et Jimmy Page sur France 2... le sommeil, c'est pour les lâches.
Et ça continue, encore et encore...
Aller passer une petite soirée agréable avec mon collègue de promo, lui aussi habitant forcé de la Comté, mais à Saucisseville. Accompagnés d'une de ses amies fraîchement rencontrée, lilloise d'origine. Magrès et purée de brocolis.
Aller au restau avec Tonton Stéphane. Accident cardiaque oblige, il en est réduit à prendre des salades à la vinaigrette light. Il faut bien que je compense. Saucisse de Morteau, jambon cru, roëstis et cancoillotte. Manger pour se remplir ?
Enseigner quelques rudiments à un collègue fraîchement entré dans la Grande Famille des guitaristes. C'est gratifiant, car puisqu'il débute, il croit que je suis un guitar hero. Ca ne durera pas. Déjà-vu ?
Après ça, nous avons purgé nos cerveaux en nous affrontant sur l'échiquier trois heures durant. Cariboo 2 - Cremelito 0. La dernière était en juillet, été chaud qui avait précédé les belles choses. On est en février, hiver grisonnant.
Marre de m'apitoyer, de ressasser des vérités. Tout ça n'est rien. Vendredi, je serai sur les pistes, je serai bien, ils seront là.
Ce passage à vide m'emmerde.
Little Earthquakes.
Lundi, dix-huit heures trente. Affalé sur mon canapé, je progresse péniblement vers la fin de mon bouquin du moment. En position allongée, sous une couverture marron qui a la bonne idée d'être plus chaude que jolie, mes yeux luttent mais cèdent rapidement et morphée m'étreint de ses bras fourbes.
Juste le temps de fermer l'oeil, il me semble que le voisin du dessus a fait passer sa machine à laver en mode essoreuse. Mais pourquoi les murs semblent-ils aussi stables qu'un chateau de cartes sur un capot de 504 diesel se rendant à un concert de Mötorhead ?
Trois secondes six dixièmes plus tard, c'est terminé. Je sors sur le balcon, mon petit vieux d'en face n'a pas l'air plus ému que ça. Mes parents m'appellent un quart d'heure plus tard. "On a entendu à la radio, t'es vivant?" Euh... ben oui.
D'accord, j'ai menti. A part les Eurockéennes, à Belfort, il y a aussi des tremblements de terre.
Passionnant, non?
Demain je vous raconterai l'aventure palpitante du fracassage de mon petit orteil gauche contre le coin de ma table basse.
Oh, une radio presque vide dans la colonne de gauche...
Comment pleurer devant un groupe de Ska.
Samedi, vingt heures trente. La Poudrière.
Rendez-vous avec batteur, sa copine et ses copines – il se déplace souvent avec son harem. Nous assistons au ‘Tremplin départemental des Eurockéennes’. Chaque année, un grand tournoi fait s’affronter les groupes locaux afin de décerner une place sur l’affiche des Eurocks. Ce soir, c’est la finale du Territoire de Belfort.
On commence par Seven PH, rock un peu mou avec chanteuse masquée par la voix du guitariste qui ferait bien de lui laisser un peu de lumière. Suivent les Hellbats, heavy rock’n punkabilly, à forte consonance Misfits. Le look qui va bien, la contrebasse qui slappe et l’énergie débordante. Puis Sweepy Noisy, nu-metöl à chier. Jusqu’ici tout va bien.
Arrivent les Two Tone Club. Ils sont huit et ont toute la panoplie du groupe de Ska : les cuivres, les smokings, les lunettes noires, la rythmique à contre-temps qui finit toujours par me gaver au bout de vingt minutes. Le chanteur arrive, c’est un black de deux mètres au charisme impressionnant.
Par le plus grand des hasards, j’étais au premier rang. Je rentre dans l’ambiance, mais à reculons. Le flot de cette journée vide me revient en tête. L’idée que mes émotions creuses ne me remuent plus. Je me retourne, toute la salle bouge. Les têtes dodelinent, les corps s’entrechoquent. Le passage joué à ce moment-là fait penser à de la bonne vieille soul. Je suis resté dehors. C’est un beau moment. Crac.
Il y avait bien la copine à t-shirt rose, dont je dirai à mon batteur que ‘si elle continue à montrer son nombril comme ça, je lui arrache le slip avec les dents’. Juste pour le plaisir du bon mot. Parce que plus envie. De faire l’effort, cette putain de séduction épuisante. Envie de rien.
Ce matin, je me suis levé pour rien, la piscine est fermée pour cause de vacances scolaires – et ceux qui ne partent pas, bordel. Pain of Salvation va illustrer mes Corn Flakes devant Téléfoot. 12:5 est un disque fabuleux.
"Night after night
The stars are shining so bright
Though my pain is larger than Universe tonight"
Pain of Salvation – Brickwork VIII (aka Second Love)
Plongée dans l'abyme – In search of a singer (2/2).
Jeudi, vingt-deux heures trente.
Deux heures trente de répétition dont la production fut plus pêchue qu’à l’accoutumée. Séquelles de la veille, nous avons même osé sans honte un ‘Comme des Connards’ hyper-efficace-qui-fait-sourire-en-jouant. N’écoutant que notre courage, nous partons pour ‘Le Simpson’. Imaginez un parking désert, trois hommes marchant de front, images au ralenti sur fond de musique de western.
Passons la porte. Et là, c’est re-le drame. Nous croyions avoir atteint le sommet du beaufisme la veille, mais ici, c’est la Source, l’Afrique préhistorique, le Berceau Originel. Nous dérangeons nos voisins directs en pleine dégustation d’un vase de bière – à partir d’une certaine taille, on ne peut plus parler de verre. Dans un groupe de post-lycéens, un bellâtre blondasse, pointes chevelues durcies par trop de gel specialfix’, est manifestement trop fait pour rectifier la justesse approximative de son chant.
En escale entre Flanville et une boîte à Jackys, le jeune aime à traîner son ennui au Simpson. La pouffe a préféré l’accompagner plutôt que de lire OK Podium en attendant qu’il rentre bourré, et c’est les yeux dans les yeux qu’ils massacrent à leur tour ‘On va s’aimer’, qui semble déchaîner avec une constance rare un flot de notes foireuses, quel que soit le moment et l’endroit.
Il a fallu subir ça pour discuter avec notre future-ex chanteuse, dont la voix prometteuse, l’esprit amène et la soif de découverte nous font nous risquer à espérer que ça colle.
Hier soir, pour rester dans la continuité, je suis allé voir ‘Les Rivières Pourpres 2’ avec tonton Stéphane. C’est bien simple, ce film est un tas immonde de non-sens, de scénario creux, d’interprétation idoine (même Jean Reno est mauvais, c’est dire). Le réalisateur a dû s’endormir en route, c’est la seule explication plausible. Luc Besson, si c’est pour écrire des merdes pareilles, tu ferais mieux d’aller faire un jogging pour te délester des centaines d’idées de scénarii navrants qui doivent encombrer ton esprit de ‘génie du cinéma populaire’.
Trève de merdicisme, je m’en vais regarder un film d’auteur hongrois sous-titré en norvégien, ça va me calmer.
Airgi, moi ?
Plongée dans l'abyme – Searching for a singer (1/2).
Ca n'est pas une nouvelle, mes acolytes et moi sommes à la recherche d'un organe vocal. Désespérant de trouver la perle rare, nous nous rendons en ce mercredi soir au Piano Bar, bar-karaoké émérite sis en plein coeur de la mégalopole flanvilloise. Dès l'entrée, c'est le drame. Les casques de scooters, fièrement posés sur l'escalier qui descend vers l'Antre, nous annoncent de leurs couleurs chamarrées qu'il va falloir être très, très courageux.
Car à peine le premier pied posé dans l’endroit, c’est le drame. Le public beaufesque dont vous ne voudriez pas dans vos pires cauchemars. Les jeunots bodybuildés, entichés de leurs pouffes prépubères qui croiront se rapprocher du Château de Nikos en massacrant Gilbert Montagné (si seulement il pouvait voir ça, le pauvre). La seule voix potable qui nous dira fièrement qu’il était dans les '24 derniers sélectionnés à Popstars'.
Mais puisque nous sommes une fine équipe et que le deuxième degré n’a plus de secret pour nous, nous nous sommes fait un malin plaisir à mimer la batterie sur ‘Comme des Connards’, à chorégraphier Lorie ou à hurler le 'Chop Suey' de System of a Down que l’animateur du lieu nous a accordé de bonne grâce (il avait fort à faire pour se racheter de m’avoir publiquement traité de ‘Francis Lalanne’). Un des ténors du soir, participant au championnat de France du Karaoké (excusez du peu), nous indique une de ses connaissances. ‘Elle chante bien et serait intéressée’. Rendez-vous le lendemain au Simpson à Valdoie.
Car le pire est à venir…
“Back hard on the ground
And you don’t talk so loud
And you don’t walk so proud
Anymore”
Guns n’ Roses – Estranged
C’est l’hiver : la grande saison du slalom spécial grèves bat son plein. Aujourd’hui ça n’est ni Air France ni la SNCF qui me font faux bond, mais les contrôleurs aériens d’Orly. Les dirigeants syndicaux doivent avoir un accès secret en ligne à mon agenda : le calendrier des mouvements sociaux est mystérieusement calé sur celui de mes déplacements parisiens.
C’est le train Paris-Belort qui me ramène aujourd’hui à la Comté. Je suis en première, puisque c’est ce à quoi le statut de cadre de la Firme m’oblige. Voyager en seconde serait me ravilir au rang de technicien, et jetterait la Honte sur toute la Confrérie des Cadres pour plusieurs générations de jeunes et vieux cons encravattés.
Première classe, mercredi, quinze heures. Moyenne d’âge : cinquante-sept ans. Le plus jeune après moi doit avoir la quarantaine. Il lit Les Echos.
C’est con, mais j’ai perdu l’étincelle. Je ne sais pas quand c’est arrivé, peut-être un mercredi à quinze heures. Perdue en route, tombée de ma poche, posée par inadvertance sur un coin de table.
Usé par l’échec. Bien sûr, j’attends encore beaucoup de l’avenir. Croire que je serai une rock star dans six mois. Croire qu’une belle histoire m’attend au coin de la rue, d’un email ou d’un compartiment. Mais la possibilité d’une solitude latente, émaillée de bouts de chemins conjoints, n’est plus si lointaine. La possibilité que la Grande Histoire n’existe pas. Et aujourd’hui, plus d’envie d’aller vers l’autre, car l’énergie considérable qu’il me faut déployer pour cela a disparu, elle aussi.
Notre train vient de traverser une gare, à vitesse limitée, sans s’arrêter. La nuit tombe, mais le ciel gris empêche tout coucher de soleil radieux. Les arbres sont autant de cadavres dépouillés de vie verte. A cinq cent mètres, de hautes flammes consument un tas d’ordures.
Putain, c’est moche ce soir.
"Love just don’t stare
He used to say me
Every Sunday morning"
Dream Theater – Voices
Dimanche, vingt et une heure quinze.
Nagé quinze cent mètres avec mon guitariste-triathlète. Mangé des Corn Flakes. Répété dur cinq heures durant. Les nouilles et les steaks hachés cuisent pour moi et mes acolytes, pendant que notre production dominicale transite vers mon disque dur.
Le bruit strident de la sonnette. She’s back from outer space. "On est nombreux", lui dis-je. "Je ne serai pas très démonstrative". S’attendre au pire.
On mange nouilles et yaourt. Son attitude semble un brin forcée. Notre batteur se roule par terre dans le salon et amorce le repli stratégique des troupes. Nous les saluons sur le pas de la porte. Fermer le verrou.
I know it’s over. Flux, reflux. Reflux final. Je ne peux affronter son visage.
L’histoire a été belle. On ne peut pas écrire "The End", parce que les expatriés que nous sommes, parce que les nerfs à vifs que nous traînons, parce que la proximité qui s’est créée. Et puis les concerts rock lui sont inconnus. Il va falloir réparer ça.
Reste le pire. L’histoire se répète. Le passé n’est pas si effacé que je veux bien le dire. Il amènera la répétition du schéma tant que je ne ferai rien. J’ai été annihilé, d’un coup de balai. Je ne peux l’accepter.
Reste le pire. S'y faire, prendre l'habitude.
Oui, le pire. Ne plus y croire.
Vive les super week-end"
Lorie - Week-End
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Ou comment éviter de réfléchir...
The long story – chapter fifteen
Cinq jours de partage, de sourires, de tendresse.
"Ici le commandant de bord. Par mesure de sécurité, veuillez attacher votre ceinture."
Jeudi, sept heures quarante-huit. Son train s’en va pour Besançon, il doit la ramener ce soir. Soirée ensemble qui ne viendra pas. Je m’endors devant le DVD de Malcolm X.
"Nous allons entrer dans une zone de turbulences."
Vendredi. Elle va peut-être m’accompagner pour entendre nos compositions en direct live. J’irai seul. La magie fut à nouveau présente, nous avons retrouvé la proximité de notre boîte de sardines au sous-sol de la maison parentale de notre batteur. On terminera sur des hamburgers trop gras, essayant vainement de trouver un nom de groupe.
"Nous venons de perdre de l’altitude."
Samedi. La Saint-Valentin, cette journée qui a beau être une entreprise commerçante et préfabriquée. Peut-être partager avec elle une ballade dans la verdure ? Ce sera "Le dernier Samouraï" avec tonton Stéphane – que j’apprécie mais qui reste une alternative un peu en deçà de sa douce présence. Le concert d’Acid Funk Jaiz, funk cuivré groovy et euphorisant. L’ambiance si conviviale de ce café-concert, quasiment devenu notre quartier général.
Demain. Piscine Pannoux-Pannoux à neuf heures précises. Répétition et tentative de création d’une maquette instrumentale de nos quatre titres.
Pour le reste, j’évite de penser. Ca ne me correspond pas, mais mon estomac reste intact.
Mais qu’arrivera-t-il donc au vol 90 de Cariboo Airlines ?
Cariboo est au ralenti.
Il y a bien le boulot, la réunionite aigüe dont est frappé mon chef-agent du KGB. "Tu fais quoi demain?". "Ben, j'ai prévu ça, ça et ça." "Eh ben raté, t'as réunion toute la journée". Merde.
Il y a bien ce nouveau chanteur, testé ce soir par mon guitariste et moi-même. Deux guitares sèches et quelques chansons n'ont pas vraiment réussi à débloquer notre hôte - once again. On doit être effrayants. Elle est là, nous observe, participe à l'énergie que notre synergie dégage. Mon gratteux part sur "Don't know why" de Nora Jones. Elle se met à chanter... Dis, ça te dirait d'intégrer un groupe?
Il y a bien les Proches, dont je partage des bouts de vie, qui partagent des bouts de la mienne.
Il y a bien ma boulangère, avec laquelle les conversations se font de plus en plus intimes ("Ah ben hier soir à vingt heures quinze, je vous ai vus en ville, alors je me suis dit tiens!", ou encore "Ah ben vous êtes bien sympathiques!").
Il y a surtout qu'au lieu d'écrire, je vis. Que l'échange se fait aujourd'hui en chair et en os, et pas avec l'Internet.
Mais rien n'est figé, jamais.
The long story – chapter fourteen.
Samedi, douze heures trente.
Après une semaine de calme, ce vendredi se termine sur de fortes turbulences. Le calme revient alors, et nous nous retrouvons dans le but avoué de profiter de la météo clémente pour aller voir de la verdure. Evidemment, il s’est passé autre chose…
En fin d’après-midi, nous partons nous promener dans les rues de Flanville, acheter quelque place de concert (The Gathering à Strasbourg, miam), boire un café dans un bar que le qualificatif "miteux" semble illustrer avec une justesse infinie. Qu’importe. Plongé dans son regard. Bonheur.
Acheter une demi miche de pain pour son petit déjeuner. Manger indien, accompagnés de mon guitariste avec lequel la déconne fut transcendée. Rentrer maison. Tout va bien. Complices, proches, enlacés.
Téléphone. Et merde.
Cataclysme.
Dimanche, huit heures cinquante. J’ai rendez-vous à la piscine Pannoux (dite "la pannoux-pannoux") dans dix minutes. Histoire de me remplir un peu, je passe m’acheter une gâterie. Grand sourire de ma boulangère.
- Bonjour. Un pain au chocolat.
- Alors, elle était bonne, la miche ?
- Ben… je sais pas, j’ai pas goûté.
- Ah bon !?!
Elle me fait les gros yeux, genre "on vous fait du pain avec amour et vous ne le partagez même pas avec votre douce ?"
- Et la p’tite dame, alors ? Elle a aimé ?
- Je ne sais pas, elle n’était pas là ce matin.
- Ah bon ?!?
Re-gros yeux, genre "mais qu’est-ce que c’est que ces jeunes, on n’y comprend plus rien". Moi non plus d’ailleurs.
- Eh bien non, vous voyez, un jour avec, un jour sans.
- Ah ben ça c’est rigolo.
- Ben non.
On échange un sourire. "Bonne journée Monsieur".
Les piliers de la stabilité incomplète. Putain d'épisode trois.
Des quatres piliers (j'en vois bien un cinquième, mais je doute de sa pertinence), celui-ci relève d'une importance particulière. Un carburant, un abandon, un générateur d'unisson émotionnel.
Dix-neuf heures trente. Après une visite en cardiologie - Tonton Stéphane va de mieux en mieux - me voici au portail de la caserne Frederichs. Notre guitariste a l'insigne honneur d'être militaire - oui, oui, on trouve des rockers tout à fait respectables dans l'armée française. J'ai trois tonnes de matos dans le coffre et le portier de service a le bon goût de me laisser entrer avec véhicule et sans interrogatoire. "Je viens répéter..." "Oui, je suis au courant" me lance-t-il de son sourire en coin. Salut militaire.
Arrivée dans notre local. Nous devons auditionner un guitariste additionnel ce soir. On lui fait de la place. Il arrive, se branche longuement pendant qu'on se chauffe sur du Muse. Il a l'air sympathique et hoche la tête à l'écoute de notre "tube". Nous sommes parés à son entrée dans la danse.
Vingt-trois heures, tous trois attablés autour de hamburgers trop gras, nous échangeons nos impressions sur ce nouveau membre potentiel, qui n'a pu nous accompagner. "T'en penses quoi?" "Toi d'abord...". Unanimement, non. Un son, un jeu metal, alors que c'est très loin de ce que nous faisons. Mais avant tout, ça n'a pas collé. Il n'a jamais semblé pouvoir intégrer l'unité que nous avons créée. Nous sommes tous trois soudés autour de notre musique, passionnés jusqu'à la moelle. La même vision, le même feeling, la même Envie. Nos regards qui s'allument au même moment quand surgit une bonne idée.
Ce moment, échanger nos impressions, déconner jusqu'à plus soif avec la serveuse qui semble apprécier, partager tant et plus. Un moment qui construit. Vivement dimanche.
En bonus, The Package qu'il me faut apprendre d'ici quatre jours. Elle a l'air facile, comme ça...
Les piliers de la stabilité incomplète. Episode deux, la petite balle jaune.
Réveil épique, après une énième nuit de quatre heures.
Boulot, dont la lourdeur administrative vient de prendre des proportions inouïes. Vive la paperasse inutile. Fuck you all.
Boulot, dont la saveur a changé depuis que Tonton Stéphane a décidé de faire une crise cardiaque lundi matin. LE collègue, lui, la force de la nature. 37 ans. La salle de réanimation, la jolie blouse blanche dont on m'a affublé. Les tubes et tuyaux partout, les lits environnants qui charrient tous leur volume de douleur. Un Tonton en forme, déjà transféré en soins intensifs. Déjà lourd avec les infirmières, ce qui augure d'une remise sur pied rapide. Remise des choses en perspective.
A break in the silence. Une séance salvatrice de balle jaune. Cracher ses poumons et brutaliser l'imprudent qui s'est posté de l'autre côté du filet. Crier à chaque pain, expulser ce qui ne peut pas sortir autrement. Séance physique, qui laisse mes genoux et dorsaux exsangues. Disserter sur la vollée de revers en aéroglisseur d'Edberg, et de son coup droit de garçon de douze ans. Mes membres longs me prédestinent à un jeu de défense, d'où les longs échanges d'essuie-glace pour dire à l'adversaire "il va falloir me faire plus mal que ça si tu veux m'achever". Et dès que l'occasion se présente, pan! dans ta tronche de franc-comtois. Aaaaah, ça fait du bien.
"Don't go hiding,
Don't go hiding
in the Shade"
Silverchair - Shade
[goes back hiding in the shade]
The long story – thirteenth step
"I will hide and you will hide
And we shall hide together here
Underneath the bunkers in the row"
R.E.M. - Underneath the bunker
Il va falloir s'y tenir. Rempiler les cloisons, pour éviter que tout ne s'effrite, stopper la déliquescence, éviter la liquéfaction.
Elle m’a mis face à moi-même, pour la deuxième fois. Face à ma dépendance, cette fois. Elle a raison. Je suis un "livre ouvert traduit en 50 langues" (courtesy of fog). On me trouve, on me lit, on s’enfuit. A l’instar d’un trou noir, le manque qu’il me faut combler happe tout sur son passage.
Forcément, en ces temps troublés qu’elle traverse, elle n’a pas besoin de ça. Forcément, se montrer pressant, c’est ne pas respecter son désir de retraite, c’est faire preuve d’égoïsme, c’est céder face à cette dépendance. C’est ne pas l’aimer assez.
"J’ai trop à faire à me soigner moi-même, je ne peux pas te soigner toi". Evidemment. Je n’en demande pas tant. Je n’en mérite pas tant.
Reste une seule solution, le bunker. Refermer la porte derrière moi, ne pas infliger ça à mon entourage. Sortir de temps en temps, pour faire les courses, et surtout pour jouer, composer, s’oublier dans l’unité musicale avec mes acolytes.
Horreur d’avoir à nouveau tout faux. Inquiétant, quand la performance semble se renouveler.
I like myself tonight. Leave me alone.
The New York Yankees Bonnet moment
Samedi, dix-sept heures trente. Un billard américain, non pratiqué depuis le Shark Pool de la cinquante-septième rue. Un Pitch, une Mimi. Un bonnet.
Depuis mon retour des iounaïtaides staïtes, mon bonnet noir, frappé du logo des NY Yankees, me quitte rarement. Hiver rude, mais forcément, pas seulement : les intérieurs climatisés du monde occidental civilisé pourraient me permettre de l’ôter sans craindre de pneumonie foudroyante.
Non, le bonnet a une utilité semblable aux écrits en anglais. Il permet de n’être pas vraiment moi-même, en apparence. Cette apparence qui, quand elle m’est renvoyée par le miroir, est rarement un plaisir pur. Le bonnet est un instrument de dépersonnalisation.
Samedi, dix-sept heures trente. Je breakdance sur Justin Timberlake, je me lance dans une imitation faite maison des pas de Jamiroquaï. Bref, moi dépouillé des gênes inhérentes à la conscience de ma propre existence. Je me rends alors presque confiant au bar pour commander un café et une pression. Trois euros quarante.
"- Et vous enlèverez votre bonnet, c’est interdit.
- Ha ha !
- Je suis extrêmement sérieuse.
- Non mais là vous déconnez, hein, dites ?
- Pas du tout. C’est pour les caméras. Et c’est un lieu privé."
Fuck. D’accord, je me plie. Damned.
Merde. La machine est en marche. En cinq minutes, sans m’en rendre compte, je suis rattrapé par moi-même. Je tente bien le billard avec gants en laine, mais mes chances de succès sont proches du zéro absolu.
Toute la jeunesse caladoise (comprendre, pour les non-initiés, Villefranche-sur-Saônoise) s’est donné rendez-vous autour des tables de pool qui nous cernent. Seize, dix-sept ans, les amours adolescentes, les histoires courtes mais belles dont je suis resté absent durant d’interminables années. La confiance qui s’effondre sur elle-même, tel le château de cartes que je n’ai pu construire que sur mes émotions restées sans partage.
Certes, ça n’a pas duré longtemps. Le temps de me ressaisir, de m’éclipser pour aller acheter quelques victuailles, d’un film russe dérangeant, d’une partie d’Abalone. Mais jamais cette insécurité ne m’abandonnera, jamais ce danger ne sera absent, tant que…
Dimanche, dix-sept heures cinquante-cinq. Ces mots, le train, cette place fumeurs acquise de haute lutte.
Rentrer, espérer.